mercredi 9 octobre 2019

Le grand souffle lyrique de Sade exige une topologie du gaudium


« Au théâtre, la vie suffit. Je suis en train de vous parler d'une autre histoire, d'une vision du monde de longue portée. Appelons-le cinéma, celui qui marque la fin de toute représentation : mon cinéma.
Dans celui-ci, l'espace est une métaphore de l'atelier du temps. La supercherie scénographique n'a aucune raison d'être, c'est une excroissance. Mieux encore : Le principe moteur est un ordre purement scénophone; jamais scénographique. Lieu d'accueil polyphonique, la construction du boudoir ne doit obéir qu'à une architecture musicale; jamais picturale. C'est à partir de là, et là seulement, qu'il est possible de réunir les pièces indispensables, les ordonner, en faire une séquence pour le coup logique et rigoureusement géométrique. Le grand souffle lyrique de Sade exige une topologie du gaudium, pour utiliser une expression d'Agambem, et jamais un taudis infesté par la puanteur pestilentielle de la maladie mentale.
Ne pas comprendre que la scission du lieu d’avec la réalité extérieure ne provient non pas de la schizophrénie mais du désir d’archiver dans un dépôt sacré l’intégralité du verbe perpétuellement répété, perpétuellement renouvelé, c’est ne rien comprendre du tout : un truc vague, un truc vide. La fameuse répétition sadienne n’est pas une simple figure rhétorique, mais le cœur de sa propre pensée. »

João César Monteiro, Lettre d'une inconnue, Sade à la grâce de Dieu (II), Une Semaine dans une autre ville, Journal parisien & autres textes, éditions La Barque, Paris, 2012.



mardi 8 octobre 2019

Polymorphe, la pensée de Sade s’abreuve aux sources les plus variées

«  Polymorphe, la pensée de Sade s’abreuve aux sources les plus variées, exécute des pirouettes sur toutes les branches, efface et occulte avec la perfection d’un criminel : humour et subversion sont les uniques traces laissées sur la piste de ce moto perpetuo. Platon, virgile, Plutarque, Sénèque, Plaute, les troubadours, Saint augustin, Pétrarque, machiavel, de vinci, Pascal, montaigne, mme de La Fayette, mme de Staël, marivaux, voltaire, rousseau, Fielding, richardson, Buffon, Cook, les codes pénaux... la liste est interminable, pour ne pas mentionner les quelques af nités avec l’Aufklärung germanique (Kant) ou les intempestives relations maçonniques – frère dévoyé, minable et, pire que cela, frère irréductible à une quelconque fraternité. Il ne me semble pas superflu de faire allusion à une Poièsis sadienne, étant donné qu’en grec ce terme ne recouvre pas seulement la « poésie » comme latu sensu, la «création». L’affirmation d’Hegel, selon laquelle la philosophie commence là où la poésie s’arrête, est symptomatique d’une crise de la pensée, mais ne s’applique pas à Sade. En ce sens, il est le poète de la souveraineté du moi. L’unique pacte qu’il reconnaisse est celui passé avec lui-même, l’unique affirmation exacte et sans équivoque qu’il émet ne respecte que l’individu lui-même : chose décidée, chose faite. Exactement comme ça, ni plus ni moins. Dans sa clarté méridienne, l’intention paraît simple et même sensée. Mais elle ne l’est pas. Entre dire et faire surgit un contretemps intolérable : celui qui défait... »

João César Monteiro, Rapport confidentiel, Sade à la grâce de Dieu (II), Une Semaine dans une autre ville, Journal parisien & autres textes, éditions La Barque, Paris, 2012.