jeudi 14 novembre 2013

La Sirène du Mississipi (François Truffaut), João César Monteiro, 1970


Article de JOÃO CÉSAR MONTEIRO paru dans le Diário de Lisboa du 27 février 1970


J'aimerai commencer à la manière de Jean-Luc Godard lorsqu'il commençait, autrefois, l'une de ses critiques. Je vais donc dire du bien de ce film, à la folie. Mais il me faut néanmoins, tout d'abord, expliquer l'abandon (exceptionnel) de certains « parti-pris ».
Je suis bien conscient que Truffaut, de par la nature même de son registre cinématographique et le caractère indéfendable de ses positions idéologiques, se situe en marge d'un nouveau cinéma. Je sais aussi que ses recherches formelles évoluent à l'intérieur d'une conception traditionaliste du cinéma, avec tout ce que cela implique de compromission équivoque avec le système. Dans ses derniers films, la peur panique du risque (la même peur, et pour les mêmes raisons, qu'a Julie, de l'amour) était terriblement perceptible. En d'autres termes, Truffaut gâtait ses acquis, c'est ce que, en art, on désigne habituellement sous l'étiquette « académisme ».
Tout comme son double dans La Sirène du Mississipi (Jean-Paul Belmondo), Truffaut, avec ce film, fait en sorte que le provisoire s'introduise dans le définitif ou, si vous préférez, que le définitif soit brisé par le provisoire et que la création conformiste, bien installée, pantouflarde, cède la place à la folie, au désir, à l'exaltation débridée (romantique, donc). Nous sommes en plein jeu de la fascination sans que les références au réel se perdent (ou le perdent). Et si la qualité de la fascination truffaldienne débouche sur le rêve (que nous partageons, si nous complétons la structure lacunaire du discours filmique) c'est pour permettre à ce dernier de s'inscrire davantage dans le réel et d'en faire partie intégrante, de telle sorte que l'un et l'autre se libèrent et s'enrichissent mutuellement. Il me semble que, bien plus qu'un rapprochement avec Sternberg (les citations sont souvent déroutantes), c'est à l'expérience du surréalisme que nous devrions, de plus en plus, apparenter Truffaut (serait-il nécessaire de faire l'inventaire des calembours, de l'appropriation magique et obsessionnelle des objets auxquels Truffaut a recours?). À force de jouer ce jeu (tout en respectant la règle du jeu) Truffaut finit par se jouer lui-même. Intégralement. Et à partir du jeu entièrement joué il ne reste plus rien si ce n'est le tout qui a été joué. Arrivé à cette extrême limite, le cinéma découvre (et fait) l'amour, dirais-je en paraphrasant André Breton. Les pas perdus? Il n'y en a pas.
Quand l'heure viendra où il faudra choisir entre la liberté et le cinéma, tout comme Truffaut, je choisirai le cinéma, mon amour.
La Sirène du Mississipi est un film réalisé en cinémascope et un « écran » de format normal (une scène) sur la trajectoire de l'expérience la plus profonde (donc la plus joyeuse et la plus douloureuse) qui puisse exister entre deux êtres : celle de la connaissance érotique. Comme tout grand film, celui-ci suggère différentes lectures, y compris celle de sa propre illisibilité.
Si nous gardons en tête que Pierrot (alias Ferdinand) se tue après la mort de Marianne (Godard) et que Louis vit après avoir accepté que Julie (alias Marion) ait tenté de le tuer (Truffaut), parmi plusieurs piètres conclusions, nous tirons la plus sentimentale : chacun a l'amant qu'il mérite (mérites cinématographiques mis à part, bien entendu). Faut-il brûler Truffaut?

João César Monteiro



Traduction du portugais : Pierre Delgado