Article
de JOÃO CÉSAR MONTEIRO paru
dans le Diário de Lisboa du
27 février
1970
J'aimerai
commencer à la manière de Jean-Luc Godard lorsqu'il commençait,
autrefois, l'une de ses critiques. Je vais donc dire du bien de ce
film, à la folie. Mais il me faut néanmoins, tout d'abord,
expliquer l'abandon (exceptionnel) de certains « parti-pris ».
Je
suis bien conscient que Truffaut, de par la nature même de son
registre cinématographique et le caractère indéfendable de ses
positions idéologiques, se situe en marge d'un nouveau cinéma. Je
sais aussi que ses recherches formelles évoluent à l'intérieur
d'une conception traditionaliste du cinéma, avec tout ce que cela
implique de compromission équivoque avec le système. Dans ses
derniers films, la peur panique du risque (la même peur, et pour les
mêmes raisons, qu'a Julie, de l'amour) était terriblement
perceptible. En d'autres termes, Truffaut gâtait ses acquis, c'est
ce que, en art, on désigne habituellement sous l'étiquette «
académisme ».
Tout
comme son double dans La
Sirène du Mississipi
(Jean-Paul Belmondo), Truffaut, avec ce film, fait en sorte que le
provisoire
s'introduise dans le définitif
ou, si vous préférez, que le définitif
soit brisé par le provisoire
et que la création conformiste, bien installée, pantouflarde, cède
la place à la folie, au désir, à l'exaltation débridée
(romantique, donc). Nous sommes en plein jeu de la fascination sans
que les références au réel se perdent (ou le perdent). Et si la
qualité de la fascination truffaldienne débouche sur le rêve (que
nous partageons, si nous complétons la structure lacunaire du
discours filmique) c'est pour permettre à ce dernier de s'inscrire
davantage dans le réel et d'en faire partie intégrante, de telle
sorte que l'un et l'autre se libèrent et s'enrichissent
mutuellement. Il me semble que, bien plus qu'un rapprochement avec
Sternberg (les citations sont souvent déroutantes), c'est à
l'expérience du surréalisme que nous devrions, de plus en plus,
apparenter Truffaut (serait-il nécessaire de faire l'inventaire des
calembours, de l'appropriation magique et obsessionnelle des objets
auxquels Truffaut a recours?). À force de jouer ce jeu (tout en
respectant la règle du jeu) Truffaut finit par se jouer lui-même.
Intégralement. Et à partir du jeu entièrement joué il ne reste
plus rien si ce n'est le tout qui a été joué. Arrivé à cette
extrême limite, le cinéma découvre (et fait) l'amour, dirais-je en
paraphrasant André Breton. Les pas perdus? Il n'y en a pas.
Quand
l'heure viendra où il faudra choisir entre la liberté et le cinéma,
tout comme Truffaut, je choisirai le cinéma, mon amour.
La
Sirène du Mississipi
est un film réalisé en cinémascope et un « écran » de format
normal (une scène) sur la trajectoire de l'expérience la plus
profonde (donc la plus joyeuse et la plus douloureuse) qui puisse
exister entre deux êtres : celle de la connaissance érotique. Comme
tout grand film, celui-ci suggère différentes lectures, y compris
celle de sa propre illisibilité.
Si
nous gardons en tête que Pierrot (alias Ferdinand) se tue après la
mort de Marianne (Godard) et que Louis vit après avoir accepté que
Julie (alias Marion) ait tenté de le tuer (Truffaut), parmi
plusieurs piètres conclusions, nous tirons la plus sentimentale :
chacun a l'amant qu'il mérite (mérites cinématographiques mis à
part, bien entendu). Faut-il brûler Truffaut?
João
César Monteiro
Traduction du portugais : Pierre Delgado