vendredi 31 mai 2013

Le cinéma n'apporte aucune consolation


« Le cinéma n'apporte aucune consolation. Car il s'agit de pellicule, et la pellicule est loin d'être aussi savoureuse qu'une glace. C'est une matière physico-chimique, plus salé du côté de l'émulsion à cause des acides – lorsqu'on y passe la langue. Je ne sais pas s'il procure une meilleure santé. Mais il ne fait pas le bonheur. Qui plus est, à mon âge, il n'excite plus vraiment mon petit ego. Ce que j'aurais voulu ? J'aurais voulu ne pas être cinéaste, ne pas être artiste, être quelqu'un d'ordinaire, traversant imperceptiblement le grand magma social. Cela suppose une certaine jalousie : ce n'est pas la jalousie de ne pas être un grand cinéaste comme Murnau, mais la jalousie de ne pas être affable et sympathique comme le mari de ma concierge. Je n'y arrive pas. Parce que je touche à des choses qui ont à voir avec la création, avec l'art. »

João César Monteiro, Público, 1995
(trad. Pierre Delgado) 

dimanche 12 mai 2013

L'être humain ou ce qu'il en reste, doit être capable de vivre avec l'insolubilité de sa propre vie

« […]
Rencontre inattendue, peut-être dans le bus n° 100, avec Fausta, une vieille amie qui gagne sa vie grâce à diverses activités buccales dans les couloirs de l'Assemblée Nationale. J. V. l'accompagne jusqu'au dernier arrêt, à São Bento, tandis qu'ils égrènent le chapelet de leurs nombreuses aventures. Sous un soleil peu clément, le bavardage se poursuit sur toute l'eau passée, et qui devrait encore continuer de passer, sous les ponts. Dans un salon de thé, qui empeste l'arsenic et les vieilles dentelles, où les attend une vieille bigote, Dona Pulquéria, ils se désaltèrent. La conversation, portée sur la religion et d'autres afflictions, a le vent en poupe. Et quand elle se déroule de cette façon, il y a de quoi être satisfait. [...] » (Synopsis original du film Va et Vient, João César Monteiro)
  Va et Vient (2003) de João César Monteiro
[00:41:25...]
Fausta (Manuela de Freitas) — Il est bon que quelqu'un s'occupe des pauvres...
João Vuvu (João césar Monteiro) — On ne fait que ça depuis des siècles. Faute de mieux, on a même bricolé une religion pour les consoler.
Fausta — La vie a toujours été dure pour les pauvres.
João Vuvu — C'est pour ça qu'ils ont eu l'idée de cette blague sur les cornes d'un charpentier dont la femme, une pute juive, était tombée enceinte. « N'écoute rien, ne t'emballe pas, c'est pas un cas de répudiation, bien au contraire ! » Il y a eu, bien sûr, intervention divine, l'œuvre d'une colombe. Mais tout était normal, en état de grâce. Mieux encore... Tandis qu'on riait, dans le coin, à gorge déployée, on a persuadé le nigaud qu'il fallait répandre la bonne nouvelle. Finalement, chose inouïe, allait naître le fils de Dieu. « Trop tard ! » s'arracha les cheveux Joseph, touché par la lumière. « Oh, Marie! On a découvert l'immaculée fornication et j'ai oublié de noter la formule. » Il regarda de travers les crétins du coin, fit son baluchon et décampa avec la femme, à cheval sur un âne. Il avait dû faire le bilan de sa vie et avait conclu qu'il n'avait pas mérité cette frousse. Le fruit béni se fit homme et, comme tout escroc qui se respecte, il se contenta de seriner sa rengaine qu'on n'en pouvait plus d'entendre : que cette vie est une vallée de larmes.
Fausta — Il est mort sur la croix.
João Vuvu — Oui, et avec pas mal de raffut. Il leur a fallu trois jours pour tirer leur épingle du jeu en trouvant le moyen de le ressusciter pour que la farce finisse bien. Bien pour lui et mieux encore pour nous. Il manquait quelques prières et incantations pour édulcorer l'autre vie, celle de l'au-delà, bien connue de lui seul, pour y avoir été en compagnie de son Père. Dans celle-là, oui, ça serait bien... Une mer de roses, la noce, et pourquoi pas, à s'en foutre jusque-là! et, en plus, per secula seculorum.
Fausta — Et quelle est la solution ?
João Vuvu — Il n'y en a pas. Le suicide est-il une solution ? Si oui, et il y en a qui le disent, elle ne m'intéresse pas. Seul le problème est intéressant, jamais la solution. Et l'être humain ou ce qu'il en reste, doit être capable de vivre avec l'insolubilité de sa propre vie. (Extrait de Va et Vient de João César Monteiro)