« Le
cinéma n'apporte aucune consolation. Car il s'agit de pellicule, et
la pellicule est loin d'être aussi savoureuse qu'une glace. C'est
une matière physico-chimique, plus salé du côté de l'émulsion à
cause des acides – lorsqu'on y passe la langue. Je ne sais pas s'il
procure une meilleure santé. Mais il ne fait pas le bonheur. Qui
plus est, à mon âge, il n'excite plus vraiment mon petit ego. Ce
que j'aurais voulu ? J'aurais voulu ne pas être cinéaste, ne pas être
artiste, être quelqu'un d'ordinaire, traversant imperceptiblement le
grand magma social. Cela suppose une certaine jalousie : ce n'est pas
la jalousie de ne pas être un grand cinéaste comme Murnau, mais la
jalousie de ne pas être affable et sympathique comme le mari de ma
concierge. Je n'y arrive pas.
Parce que je touche à des choses qui ont à voir avec la création,
avec l'art. »
João
César Monteiro, Público, 1995 (trad. Pierre Delgado)
Rencontre
–inattendue, peut-être –
dans le bus n° 100, avec Fausta, une
vieille amie qui gagne sa vie grâce à diverses activités buccales
dans les couloirs de l'Assemblée Nationale. J. V.
l'accompagne jusqu'au dernier arrêt, à São
Bento, tandis qu'ils égrènent le
chapelet de leurs nombreuses aventures. Sous un soleil peu clément,
le bavardage se poursuit sur toute l'eau passée, et qui devrait
encore continuer de passer, sous les ponts. Dans un salon de thé,
qui empeste l'arsenic et les vieilles dentelles, où les attend une
vieille bigote, Dona Pulquéria, ils se désaltèrent. La
conversation, portée sur la religion et d'autres afflictions,
a le vent en poupe. Et quand elle se déroule de cette façon, il y a
de quoi être satisfait. [...] » (Synopsis
original du film Va et Vient, João
César Monteiro)
Va et Vient (2003) de
João
César Monteiro
[00:41:25...]
Fausta (Manuela de Freitas) — Il est bon
que quelqu'un s'occupe des pauvres...
João
Vuvu (João césar Monteiro) — On ne fait
que ça depuis des siècles. Faute de mieux, on a même bricolé une
religion pour les consoler.
Fausta — La vie a
toujours été dure pour les pauvres.
João
Vuvu — C'est pour ça
qu'ils ont eu l'idée de cette blague sur les cornes d'un charpentier
dont la femme, une pute juive, était tombée enceinte. « N'écoute
rien, ne t'emballe pas, c'est pas un cas de répudiation, bien au
contraire ! » Il y a eu, bien sûr, intervention divine,
l'œuvre d'une colombe.
Mais tout était normal, en état de grâce. Mieux encore... Tandis
qu'on riait, dans le coin, à gorge déployée, on a persuadé le
nigaud qu'il fallait répandre la bonne nouvelle. Finalement, chose
inouïe, allait naître le fils de Dieu. « Trop tard ! »
s'arracha les cheveux Joseph, touché par la lumière. « Oh,
Marie! On a découvert l'immaculée fornication et j'ai oublié de
noter la formule. » Il regarda de travers les crétins du coin,
fit son baluchon et décampa avec la femme, à cheval sur un âne. Il
avait dû faire le bilan de sa vie et avait conclu qu'il n'avait pas
mérité cette frousse. Le fruit béni se fit homme et, comme tout
escroc qui se respecte, il se contenta de seriner sa rengaine qu'on
n'en pouvait plus d'entendre : que cette vie est une vallée de
larmes.
Fausta — Il est mort
sur la croix.
João
Vuvu — Oui, et avec
pas mal de raffut. Il leur a fallu trois jours pour tirer leur
épingle du jeu en trouvant le moyen de le ressusciter pour que la
farce finisse bien. Bien pour lui et mieux encore pour nous. Il
manquait quelques prières et incantations pour édulcorer l'autre
vie, celle de l'au-delà, bien connue de lui seul, pour y avoir été
en compagnie de son Père. Dans celle-là, oui, ça serait bien...
Une mer de roses, la noce, et pourquoi pas, à s'en foutre
jusque-là! et, en plus, per secula seculorum.
Fausta — Et quelle est
la solution ?
João
Vuvu — Il n'y en a
pas. Le suicide est-il une solution ? Si oui, et il y en a qui le
disent, elle ne m'intéresse pas. Seul le problème est intéressant,
jamais la solution. Et l'être humain ou ce qu'il en reste, doit être
capable de vivre avec l'insolubilité de sa propre vie. (Extrait de Va et Vient de
João
César Monteiro)