jeudi 28 mars 2013

Jaime, l'inespéré du cinéma portugais, Cinéfilo, 20 avril 1974

« Je parle d'António Reis et du jour où je l'ai connu, et qui a coïncidé, par un hasard professionnel, avec la première fois où j'ai vu Jaime, à mon avis l'un des plus beaux films de l'histoire du cinéma, ou si vous préférez : une étape décisive et originale du cinéma moderne, un point de passage obligatoire pour tous ceux qui, dans ce pays ou dans un autre, voudraient poursuivre la pratique d'un certain cinéma, celui qui ne tolère et ne reconnaît que sa propre intransigeance austère et radicale.
Dans ce sens, je crois qu'au moment où les dés du cinéma portugais sont en train d'être jetés, si tant est qu'ils ne le soient pas déjà, le surgissement d'António Reis peut être fondamental, aussi fondamental que la greffe d'un nouveau cœur chez un malade agonisant. »

JOÃO CÉSAR MONTEIRO, Jaime, l'inespéré du cinéma portugais (Cinéfilo n°29 du 20 avril 1974)
in Une semaine dans une autre ville, Journal parisien & autres textes, La Barque, 2012.

______

António Reis est considéré dans son pays natal, le Portugal, comme un artiste visionnaire dont les films et les nombreuses années passées à enseigner le cinéma à l'Escola Superior de Cinema e de teatro de Lisbonne (où il eu entre autres pour élèves Pedro Costa et Manuela Viegas) ont exercé une influence incommensurable sur la renaissance du cinéma portugais post-Salazar et sur la nouvelle génération de cinéastes qui a émergé dans les années 1980 et 1990. Né à Porto, Reis trouvera d'abord la reconnaissance en tant que poète avant de rencontrer Manoel de Oliveira qui en fera son assistant réalisateur sur son premier chef-d'œuvre, Le Sacre du printemps (1963) aux côtés d'un autre collaborateur important, Paulo Rocha. Cette nouvelle approche poétique propre à ce cinéma ethnographique que définiront ensemble Oliveira et Reis guidera les quatre œuvres extraordinaires qui suivront et que Reis co-dirigera avec sa femme, la psychologue Margarida Cordeiro, aboutissant au point culminant de Trás-os-Montes, une quête lyrique de l' «âme» profonde de la culture et de l'histoire portugaise à travers les mythes et le folklore paysan de cette région reculée du nord du Portugal. Admirés par des cinéastes comme Joris Ivens, Jean Rouch et Jean-Marie Straub, les films de Reis et de Cordeiro ont inventé un langage cinématographique, poétiquement libéré et hypnotique, un style et une sensibilité qui ont établi durablement la tradition du cinéma radical du Portugal.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire